Les Abattus de Noëlle Renaude commence dans les années 60. Un enfant décrit son quotidien, pris entre la cruauté des frères, l’absence du père et le regard perdu de la mère. Puis la vie bifurque mais ne s’annonce guère meilleure, avec l’arrivée d’un beau-père et une demi-soeur qui a tout d’une peste. Heureusement, l’écriture de Noëlle Renaude illumine tout. Elle agit comme un petit tourbillon, avec une sctructure de phrases qui vous fait lire d’une traite.
Le narrateur sans nom grandit. Il observe les rapports au sein de la famille, les renoncements et les mesquineries. Pour lui-même, il ne semble rien désirer. A-t-il remarqué que la poisse semble vouée à les marquer tous de son empreinte ? Quelques grands malheurs succèdent à de petites joies, l’affection d’un notaire, un copain avec qui écluser des verres et fumer des cigarettes. Mais rien de remarquable, pas de 400 coups, d’études brillantes ou de scolarité raté. Un dépucelage sans émotions, une petite amie qui s’impose toute seule. « Je me dis que la tristesse a l’air d’être une belle chose à vivre, et qu’elle ne m’a pas été donnée. »
Les mois et les années passent. Le crime s’installe dans le décor. Un des frères devient caïd, des voisins sont assassinés, une journaliste disparaît. La police enquête. La richesse s’expérimente de loin au détour d’un repas chez le patron banquier, ou dans la luxueuse demeure du notaire-tuteur. On ne change pas de classe sociale. Le flic bouffeur de gingembre s’en rend bien compte, ébloui par l’appartement bourgeois. » (…) quel monde mais quel monde, et il revoit tout ému les humbles décors qui ont contenu son enfance, son adolescence, sa jeunesse, sa vie d’adulte, sa vie dans la police, au fond, toute sa vie depuis qu’il est né, ce qui fait exactement cinquante-deux ans, et il dit, c’est le seul contexte qui me va, pas un autre, et ça lui flanque un coup. »
Les détails, les faits, les gestes, dessinent ces vies minuscules et la généalogie du rien. Mais au contraire des Années d’Annie Ernaux, aucun symbole, aucune marque, aucun événement ne rattache l’histoire à son époque. Ou si peu. Les années 80 arrivent et le sida avec elles. On songe aussi à Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, l’espoir et le romantisme en moins.
Les abattus semblent voués à rester des inadaptés et la conclusion n’est certes pas joyeuse. A peine reprochera-t-on un creux dans le récit à mi-parcours, un effet de rythme parfois trop appuyé, et une couverture si peu en adéquation avec le contenu. La mise en lumière de ces vies est magistrale. Jamais on ne sait au juste où l’autrice mène sa piste, vers une enquête policière, une saga familiale ? On soupçonne une mise en abyme, un rebondissement spectaculaire. Le narrateur sans nom reste énigmatique, et le grand méchant caché dans l’ombre. Quant au rétablissement d’un quelconque ordre, il ne faut pas compter dessus. Un roman noir.
Roman sélectionné pour le Prix des Chroniqueurs Toulouse Polars du Sud
Caroline de Benedetti
Noëlle Renaude, Les abattus, Rivages/Noir, 2020, 300 p., 20,90 euros
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