Nu dans le jardin d’Eden de Harry Crews est le roman exubérant de la vie au fond d’un trou, sur le bord d’une autoroute où les touristes observent au télescope la misère transformée en folklore. On y abat les idoles, à moins qu’elles ne finissent en cage…
Harry Crews fait partie de ces auteurs qui vous laissent des images fortes en tête. Ses personnages sont tous affublés de caractéristiques marquées, ses histoires baignent dans un univers original et son écriture sert le tout à la perfection.
« Si je dois vivre dans un trou, alors personne ne peut vivre sur une colline. »
La petite ville de Golden Hills est une ville champignon, le rebut d’une ancienne usine de phosphate. Une fois le patron retourné à la grande ville et les ouvriers partis en quête d’un autre boulot, il ne reste là que quelques irréductibles. Tous sont des êtres inachevés : un héritier obèse et son majordome jockey, un foreur sans trou à creuser, un glacier à cheval qui rêve du temps de sa voiture, et une jeune femme qui veut transformer sa ville et sa vie. Dolly, superbe personnage qui a gagné son ticket pour New York en cumulant les pièces que les hommes laissaient pour se soulager la conscience d’avoir mis la main dans sa culotte d’enfant.
L’odeur des gâteaux ne s’échappe plus par les fenêtres des petites maisons du bidonville, les porte-monnaie sont à sec. À Garden Hills le travail, cette valeur sacrée, n’est plus. La ville est le théâtre de la désindustrialisation et des rêves perdus.
« Chacun d’eux avait déjà assimilé la première règle de l’organisation : l’obéissance. Et ils étaient déterminés à lui obéir parce qu’elle avait promis de faire refleurir leur terre ruinée. »
Une fois encore (comme dans Des savons pour la vie) l’auteur questionne l’utilité et la finalité du travail. Il montre l’adoration envers le patron, cet homme plein de pouvoir transformé en mythe. Pour les habitants tout se résume à un objectif, répété comme un mantra « avoir un contrat ». Le salaire devient la condition de la dignité et du bonheur. À moins que ce ne soit une aliénation ? Les bouseux de Golden Hills auront un autre choix que la soumission, grâce à l’imagination de Dolly.
Mort en 2012, Harry Crews laisse plusieurs romans non traduits en France.
Harry Crews, Nu dans le jardin d’Eden, Sonatine, 2013, traduit par Patrick Raynal. 19 €, 235 p., sortie poche Points 2014.
One thought on “Nu dans le jardin d’Eden de Harry Crews”
Comments are closed.