On connaît le goût des duettistes du noir pour l’exercice à contrainte qui va du cadavre exquis (Ping Pong) à l’échange de thèmes (Zig Zag) en passant par l’insertion du texte de l’un dans le texte de l’autre (Tohu Bohu). Leur dernière prestation commune remonte à 2014 : L ‘Alphabet du Polar, soit 26 histoires courtes, une pour chaque lettre de l’alphabet ; 26 microfictions superbement illustrées par José Corréa. Six ans plus tard, Jean-Bernard Pouy et Marc Villard sont de retour avec La mère noire.
C’est un court roman au format déconcertant, composé de deux nouvelles d’à peu près même longueur. La première de Pouy, la seconde de Villard. Chacun conserve son style et son univers de prédilection. Longues phrases sinueuses, parfois lyriques, ponctuées de dialogues percutants et de calembours pour Pouy, phrases courtes et récit behavioriste, entrelardées de poèmes énigmatiques pour Villard.
Pour l’un, la présentation d’un couple père fille (la mère est partie ) avec alternance des points de vue : celui du père, peintre sans renom mais suffisamment doué pour vivre de la peinture (la sienne et celle des autres) et celle de sa fille dont on ne vous dira pas l’âge. « Je déteste quand on me demande, hé petite fille , t’as quel âge ? Je réponds toujours : l’âge qu’on me foute la paix , et toc, non mais ». Le père a acheté une petite gare désaffectée en Bretagne où sa fille adore s’occuper des poules et du coq Balladur. Leur dernière escapade va virer au cauchemar : L’ART ME MENT, titre de cette première partie est l’homophonie pas du tout approximative (jeu oulipien dans le quel Pouy excelle) d’un ARMEMENT qui laisse présager le pire. L’autre retrace le parcours du personnage absent de la 1e partie : la mère, VERO, dont l’itinéraire géographique et social l’entraîne toujours plus bas, vers le sud et la délinquance.
La mère noire est un tableau de la France d’en bas, dans tous les sens du terme ; remarquable tableau de la Camargue en hiver, portraits de zonards et de bénévoles, scènes de la vie ordinaire où la folie s’invite trop souvent. Vous ne regarderez plus la Cité des Papes de la même façon après avoir lu le chapitre La Soupe ni la gare de Lamballe après y avoir vu un train de syndicalistes se faire arraisonner par la police. Pas Drancy, ni Auschwitz : LAMBALLE !
Jocelyne Hubert
Jean-Bernard Pouy et Marc Villard, La mère noire, Série Noire, Gallimard 2021, 160 pages, 15 Euros.
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