« Des êtres humains qui se débattent dans la boue », disait Emeric Cloche au sujet des Jardins d’Eden. Loin en amont du ciel de Pierre Pelot pourrait se résumer à cette même phrase. Ce qui ne dit rien de la puissance et de la férocité de ce livre.
Le premier roman de Pierre Pelot paru en 1967 (La piste du Dakota), est un western. L’auteur a depuis versé dans tous les genres et tous les formats. Il revient au western avec ce qu’on appellerait aujourd’hui un spin off dans l’univers de son personnage, Dylan Stark.
Certains romans possèdent une particularité qui reste en tête, pour une raison ou une autre. Par exemple, des scènes longues de plusieurs pages, qui chez certains pourraient barber, mais chez d’autres tiennent en haleine. L’introduction du Fleuve des brumes (Valerio Varesi) et sa péniche à la dérive. La traque du loup dans Le grand passage (Cormac McCarthy). La course poursuite dans Les boiteux (Frédéric L’homme). Et désormais, le trajet des quatre soeurs McEwen de retour à la ferme qui introduit 70 pages de sauvagerie. La guerre de Sécession vient de finir, mais la fin d’une guerre n’a jamais mis fin à la cruauté des hommes et des femmes.
Les femmes, justement. Elles occupent le devant de cette histoire. Les héroïnes de Pelot ont pris le Far West en pleine face, esclaves, prostituées, réchappées de massacres. Elles en portent les cicatrices, et pour faire front se terrent ou partent en chasse. Les hommes jouent les seconds couteaux.
Toutes les histoires ont déjà été racontées, notamment celles de vengeance. Rares ont l’intensité rendue possible par l’écriture de Pelot. Avec lui on découvre une ville racrapotée, des hommes vestuvelués et des brouhahas enchifrenés. Des descriptions incomparables de la nature, du ciel, des visages, des vêtements. Le choix des mots, donc, sans oublier celui de la narration. De 1865 à 1870 et plus tard encore, les allers-retours dans le temps augmentent la tension du roman. Il est impitoyable, le Pelot. Il vous tend l’espoir puis le piétine allègrement, jusqu’à l’ultime page qui vous laisse exsangue, comme si tout le sang versé pendant ces 384 pages avait été le vôtre. C’est poignant, sans pitié pour le coeur et l’estomac, à l’image des personnages.
Les villes abandonnées plus ou moins, peuplées de veuves, de putes et d’enfants maigres comme des chiens errants, aux dents proéminentes, de vieillards hallucinés par le fait d’être encore en vie, d’hommes survivants sans âge, estropiés, amputés, mutilés, de Noirs hagards jetés hors des champs en liberté lourde à porter, chassés par les traqueurs d’esclaves autant que par les agents du nouveau Bureau of refugiees, freedmen and abandonned lands promoteurs de lune et de paradis.
Loin en amont du ciel pourra se ranger à côté d’autres excellents western français, comme Faillir être flingué de Céline Minard, ou le méconnu Sansalina de Nicolas Jaillet.
Caroline de Benedetti
Pierre Pelot, Loin en amont du ciel, Gallimard/La Noire, 2023, 384 p., 21,50 €