En 2008, après la Série Noire, les éditions de l’Aube et Points, Denoël poursuivait l’aventure éditoriale cahotique de Christopher Brookmyre en publiant Les canards en plastique attaquent. Retour sur ce livre, avant la sortie chez Métailié de son nouveau roman.
L’auteur écossais régale depuis longtemps un cercle restreint d’amateurs grâce à ses divertissements de qualité. Procurez-vous Petite bombe noire, Petit bréviaire du braqueur ou Faites vos jeux ! pour en juger. Le revoilà avec un sujet qui ne manque pas de fond : l’attraction exercée par l’inexplicable et le paranormal, et les escrocs qui en profitent. Comment cette séduction s’opère-t-elle ? Par quelle apparente simplicité et quel faux appel au bons sens des phénomènes s’imposent de façon pernicieuse ?
On retrouve Jack Parlabane, journaliste pas très recommandable et personnage récurrent de l’auteur, dans l’ambiance de la prestigieuse Université de Glasgow. Mais que fait Parlabane à l’Université ? Il bénéficie de la chaire honorifique annuelle. Un banquet est donné pour l’occasion. Son prédécesseur, Lafayette, un médium sympathique et populaire qui a séduit les foules avec son show, prend place à la
table d’honneur avec un nouvel objectif : faire reconnaître sa pratique en la soumettant à des tests scientifiques au sein du laboratoire de l’Université. L’enjeu est de taille, et voilà le point de départ du roman.
Brookmyre expose avec brio la façon dont l’incompréhension peut faire vaciller la raison. Tous, nous pouvons basculer, être bernés par des mystifications séduisantes, auxquelles une explication rationnelle existe souvent. Marcher sur les braises, je peux, vous pouvez le faire (lire à ce sujet Devenez sorciers, devenez savants de Charpak et Broch). Mais les protagonistes de l’histoire se trouvent déstabilisés par le personnage de Lafayette. L’homme est intelligent, et se dit effrayé par ses pouvoirs, qu’il ne maîtrise pas et ne veut pas. La « magie » dont il fait preuve remet en cause les certitudes des plus réfractaires. Manipulation, ou pas ? La question ne lâche pas le lecteur, et l’auteur en joue beaucoup. Il alterne les narrateurs, usant même d’une astuce dont il aurait pu se passer, et trimballe son lecteur entre illusion et vérité. Le roman montre l’affrontement entre la science et la croyance, avec toutes les oppositions que cela entraîne. Un bord est supposé hermétique et hostile, l’autre ouvert et tolérant. Lafayette représente un camp dont les attaques, les arguments et les méthodes se sont modernisées – le camp qui aime à dire qu’il ne faut pas trop réfléchir – pointant du doigt la mauvaise volonté des sceptiques quand ceux-ci tentent juste d’avoir l’esprit critique.
Derrière l’humour et le ton facile, l’auteur montre le mécanisme de la naïveté, et les dangers du manque de raisonnement. Le propos du roman trouve un écho très actuel, ne serait-ce qu’en évoquant les pressions exercées par les partisans du créationnisme pour la modification des manuels scolaires. On pourra prolonger ce véritable appel à l’intelligence avec la lecture de la nouvelle Le livre maudit, de GK Chesterton, ou encore Le Charlatan, de W.L. Gresham.
Caroline de Benedetti
Christopher Brookmyre, Les canards en plastique attaquent, Denoël, 2010, traduit de l’anglais (Écosse) par Emmanuelle Hardy, 22,30 €, 432 p.