Au bord du lac Léman, la belle silhouette d’une femme s’asperge de liquide et s’enflamme.
Bruce assiste à la scène, sans trop savoir s’il est bien reveillé de sa soirée MDMA.
Voici une version destroy de Pretty Woman.
Vivian s’appelle Gifty et elle vient du Bénin. Pas pour le tourisme, mais pour honorer la dette de sa famille. Sinon le juju va tous les tuer. Rien de tel que les croyances et le pouvoir du féticheur pour manipuler quelques filles naïves.
Dans le rôle du beau riche, Bruce est scénariste de jeux vidéos, une célébrité dans son genre, faux rebelle et vraie grande gueule qui case « outchine » dans toutes ses phrases.
La rencontre entre Bruce et Gifty fait des étincelles. Le héros veut sauver sa belle et Pierre-François Moreau raconte ça avec une plume virtuose, alliant gravité et légèreté, simplicité et folie, tout en variant les registres de langage. Sans fioritures. Mais il ne faut pas s’y tromper, derrière l’outchine cool et l’humour affleure le drame, les trafiquants de femmes profitent des conflits, des traditions et des peurs. Si Freddie Mercury et Neneh Cherry font rêver, du Bénin à la Lybie en passant par le Nigéria, I want to break free résonne aussi avec Strange Fruit.
Une ambiance étrange plane sur ce récit qui n’est ni une histoire d’amour, ni une histoire de truands. White Spirit baigne dans le délire paranoïaque, porté par des personnages fantasmatiques. Destiny la soeur fantôme, un producteur qui n’existe qu’au téléphone, des policiers suisses presque bienveillants, et un mystérieux hommes d’affaires. Tous sont hautement cinématographiques. D’ailleurs Tarantino conviendrait à la réalisation de scènes dont le gore inspire Bruce pour ses futurs scénarios.
L’histoire échappe aux chemins attendus, car les personnages eux-mêmes ne veulent pas suivre la voie prévue. White Spirit, black power, et surtout humain trop humain.
Caroline de Benedetti
White Spirit de Pierre-François Moreau, La Manufacture de Livres, 2019, 224 p., 18,90 €