Toute l’histoire d’Anima, le polar de Wajdi Mouawad, part d’un crime atroce, décrit avec une force de détails que ne renierait pas un auteur de thriller sensationnel. Dès lors pour Wahhch, le personnage principal, il s’agit autant de trouver qui a tué sa femme que de résoudre le mystère de sa propre identité. Car la poursuite du tueur dans la réserve indienne Mohawk réveille son passé. On dit des secrets qu’ils sont enfouis, c’est ce qui est arrivé à l’enfance de Wahhch. Il porte en lui une image traumatisante, son corps sous la terre et les cadavres d’animaux autour. L’homme et l’animal sont liés dès le début de sa jeune vie, et tout au long de ce roman.
Anima de Wajdi Mouawad souffre parfois d’un trop plein de lyrisme, d’une dramatisation appuyée au parfum d’évidence. « Les humains sont seuls. Malgré la pluie, malgré les animaux, malgré les fleuves et les arbres et le ciel et malgré le feu. Les humains restent au seuil. Ils ont reçu la pure verticalité en présent, et pourtant ils vont, leur existence durant, courbés sous un invisible poids. Quelque chose les affaisse. »
Mais sur la longueur, la structure du récit montre son habileté. Chaque chapitre est raconté par un animal et ce bestiaire narratif révèle les comportements humains et les rapproche du monde animal. Devant la sauvagerie de certaines scènes, peut-on dire s’il s’agit d’un acte humain ou animal ? Et la douceur des gestes d’entraide, vient-elle d’une bête ? Ces questions éternelles interrogent notre capacité à communiquer avec l’autre et à tenir compte de son existence. Et bien sûr, à lire ainsi l’homme et l’animal mélangés, nous éprouvons les émotions de l’un et de l’autre sans priorisation. L’injustice est ressentie avec douleur, qu’elle vienne de la souffrance d’un chien où de celle d’une femme asservie. Elle mène à une empathie qu’on ne peut que saluer.
Pour Wahhch la vérité surgira après un long chemin, un mouvement (anima, « animé ») qui libérera son âme (anima, encore). L’évidence de la symbolique n’enlève rien à l’émotion du roman.
Finissons par quelques rapprochements comme une invitation à d’autres lectures, puisque la thématique de l’animalité évoque pour différentes raisons Le blues du coyote de Christopher Moore, ou La mélancolie des corbeaux de Sébastien Rutés.
Caroline de Benedetti
Wajdi Mouawad, Anima, Babel, 2015, 10 euros, 500 p.