Darren Mathews est un Texas Ranger noir, et le premier héros flic d’Attica Locke. Parce qu’il refuse d’abandonner le Texas aux racistes et veut « un monde où les noirs seraient en sécurité », Mathews tente d’élucider deux crimes : la mort d’un homme noir suivie deux jours plus tard par celle d’une jeune femme blanche. Bluebird, bluebird d’Attica Locke se montre émouvant et surprenant.
Mathews, porté sur la boisson depuis que sa femme l’a mis à la porte, a tout de l’archétype du polar. Il est rejoint par l’incontournable femme fatale, ici une élégante veuve, et le riche potentat local. Les archétypes fonctionnent à condition que l’auteur y ajoute sa patte. C’est le cas ici, en plus sous le signe du blues, un autre classique du polar. Le roman doit son titre à une chanson de John Lee Hooker, et la voix de Mahalia Jackson résonne sur le juke box du diner. Sans oublier l’amour et une guitare, qui ont toute leur importance…
« Darren avait toujours voulu se persuader que leur génération serait la dernière à être obligée de vivre ainsi, que le changement viendrait peut-être de la Maison Blanche. Mais les événements avaient prouvé le contraire. Dans le sillage d’Obama, l’Amérique s’était révélée sous son vrai visage. »
La personnalité de Mathews se révèle aussi importante que son enquête. Elle est peut-être même la véritable enquête, au coeur de son histoire familiale, pour dire les failles d’un homme guidé par les idéaux de ses oncles avocats. Chacun porte une vision de la condition et du sort des noirs américains
Dans le décor immense offert par ce pays, Attica Locke installe son histoire à Lark, population : 178 habitants. Sur la route 59, qui va du Mexique au Canada, l’enquête de Mathews a pour cadre le bayou Attoyac, mais surtout deux bars de chaque côté de la route. Le Jeff’s Juice House s’affiche fraternité aryenne. Le Geneva Sweet’s Sweets sent les beignets et la queue de boeuf. Ce n’est qu’en explorant ces lieux, en comprenant les habitants et leur passé, que Mathews pourra découvrir les motivations intimes. Cette route 59 incarne toute la question d’un racisme viscéral qu’on imaginait appartenir au passé. Le roman montre que non. « Quarante ans et quelque après le mort de Jim Crow, presque rien n’avait changé. » Etre noir aux Etats-Unis, c’est prendre en pleine face le meurtre raciste de James Byrd Jr à Jasper en 1998. « C’était mon 11 septembre » dit Mathews. Là réside sans doute la cause de son obsession pour la vérité.
Bluebird, bluebird porte le poids du racisme dans un pays divisé. Attica Locke semble jouer avec sa propre obsession et celle de son personnage. La vérité surgit d’une piste inattendue et fait vaciller les certitudes du lecteur. N’est-ce pas ainsi que le roman noir est le meilleur ? Celui-ci rejoint la dernière thématique de L’Indic « Polar et racisme ». C’est un grand plaisir de retrouver l’autrice américaine chez Liana Levi, après ses précédentes parutions à la Série Noire.
Caroline de Benedetti
Attica Locke, Bluebird, bluebird, Liana Levi, 2021, traduit de l’américain par Anne Rabinovitch, 320 p., 20 euros.