Le silence selon Manon de Benjamin Fogel succède à son premier roman, La transparence selon Irina, tout en se situant à une période antérieure. Avec ces deux livres, l’auteur file un sujet peu traité dans le polar français : nos sociétés numériques, et les questions d’identité de genre.
Irina se situait en 2048, Manon a lieu quelques années plus tôt, en 2025. Irina mettait en scène une société apaisée grâce à la fin de l’anonymat numérique, Manon raconte le harcèlement en ligne et l’affrontement entre féministes et célibataires masculinistes (les incels). On le sait, en littérature un sujet n’est rien sans personnages pour l’incarner.
Ils s’appellent Simon, Iris, Kahina, Yvan, Tristan… Ils sont jeunes, amateurs de musique et pris dans les problématiques de leur époque. Yvan chante dans un groupe de rock straight edge (pas de drogue, pas d’alcool, pas de tabac) et féministe. Sur les réseaux KenKillER est à la tête d’une communauté d’hommes frustrés qui persécutent les femmes et blâment leur indépendance (il faudra un jour songer à faire discuter ces célibataires avec les hommes mariés qui eux rêvent de retrouver leur célibat, ndlr…)
Ce n’est pas pour rien que le mot « silence » se trouve dans le titre du deuxième roman de Benjamin Fogel. Nous faisons tous régulièrement le constat du bruit produit par les polémiques médiatiques. On rêve parfois de débrancher, déconnecter. Le silence évoqué par l’auteur est aussi celui dont rêve un jeune homme soudain atteint d’acouphènes. Cette souffrance physique change son rapport aux autres et au monde. Les sensations jouent un grand rôle dans Le silence selon Manon, les sentiments aussi. Simon et Iris, Kahina et Yvan, tous sont marqués par leur difficulté à aimer, et par une forme de narcissisme. Valent-ils mieux que les incels vindicatifs ?
La lutte entre les harceleurs incels et les harcelés straight edge reprend l’opposition du patriarcat au féminisme. Le silence selon Manon offre un sujet de réflexion qui a l’intelligence de se fondre dans les mouvements des personnages. Benjamin Fogel leur donne de l’épaisseur et ne livre pas le portrait attendu d’un camp du bien contre un camp du mal. L’auteur sait y faire pour maintenir la tension, alternant les voix et points de vue, sans oublier de semer quelques cadavres au passage. Tout commence par l’annonce d’un attentat à venir. On est bien dans un polar.
Caroline de Benedetti
Benjamin Fogel, Le silence selon Manon, Rivages Noir, 2021, 20 euros, 284 p.