Menottée au lit de la maison de campagne au bord du lac Kashwakamac, Jessie se souvient de son passé. Ce huis-clos donne lieu à une œuvre qui flirte avec le fantastique, le traumatisme et la terreur. C’est un livre courageux, qui aborde un sujet difficile (que nous tenterons d’éviter de dévoiler ici) de manière fine et précise.
La trilogie féministe de King
Jessie fait partie de ce que la critique appelle parfois « la trilogie féminine » de King (Jessie, Dolores Clairborne et Rose Madder). Ces trois ouvrages traitent des violences faites aux femmes. King aborde cependant des sujets féministes, ou féminins, dans d’autres romans. Carrie, par exemple, s’ouvre sur les règles du personnage principal. Les menstruations ne sont pas un sujet courant dans la littérature américaine. Cujo explore en partie la vie de couple et la domination masculine. L’enfer que vit Jessie est autant dû à sa situation présente (attachée à un lit pour plaire à son mari) qu’à son passé et à sa vie conjugale.
Des correspondances
Stephen King, comme Faulkner avec le comté de Yoknapatawpha ou Lovecraft avec Arkham, construit des résonances entre ses œuvres. L’esprit de Jessie est composé de plusieurs personnes qui lui parlent. Ces personnes se servent parfois de son esprit comme d’un lieu. Ce procédé qui transforme en lieu l’esprit d’un personnage est utilisé plus tard par Stephen King dans Dreamcatcher. Cela me semble assez flagrant à la fin du chapitre 13 quand Bobonne, une des « personnalités » qui forment Jessie, décide que le cerveau est en surchauffe et qu’il faut s’évanouir.
L’éclipse de soleil présente dans Jessie est la même que celle de Dolores Clairborne et Jessie voit une scène avec les protagoniste de cet autre roman lors d’une de ses hallucinations. Le lac de Dark Score est le lac où se déroule Sac d’os, pas loin de Castle Rock (on croise aussi l’asile de Juniper Hill qui revient dans plusieurs histoires de King). On croise des personnages présents dans Bazaar (les shérifs et adjoints Norris Ridgewick, John Lapointe et Alan Pangborn).
Les scènes où Jessie tente de se libérer sont empreintes d’un « suspense long » qui n’a plus vraiment court dans les livres actuels. King prends son temps pour décrire les actions et il en fait sûrement un peu trop.
Un gentil ou un méchant King ?
La fin ne laisse pas de doute, nous avons là un gentil King malgré la violence psychologique de l’histoire. Joubert et Jessie ont un problème en commun, même si Joubert cumule viol, violence, maladie, et qu’il a basculé. Le livre se résout avec un affrontement entre le protagoniste (Jessie) et l’antagoniste (Joubert) assez caractéristique des thrillers les plus réussis (Cf. Le Silence des agneaux). À l’issue de cet affrontement Jessie va régler son problème, autant que faire se peut. La terreur de Jessie, sa folie, où ce que l’on croyait être sa folie, se résolvent dans un final lumineux à la fois rationnel et glaçant.
Emeric Cloche