Dans la famille des professions reines du polar, on trouve le flic, souvent enquêteur de la police judiciaire (le « 36 » quai des Orfèvres, maintenant rue du Bastion). Assez vite est apparu le légiste, et à sa suite différents experts qui ont même inondé nos petits écrans. S’ils n’étaient pas si fous de Claire Raphael met en scène la 3e enquête d’une ingénieure en balistique.
La résolution d’un crime s’avère souvent banale, loin de l’action trépidante et des rebondissements à toutes les pages. On a pu mesurer la minutie d’une enquête dans l’excellent film La nuit du 12. Claire Raphaël s’en fait l’écho avec cette histoire au cœur d’un fait divers. Une femme est tuée d’une balle, chez elle, dans un immeuble de banlieue. L’enquête de proximité s’oriente vers Amélie, sa fille schizophrène.
« Est-ce que c’est facile de tuer sa propre mère ? C’est rare, les files qui tuent leur mère. Curieusement. Beaucoup de filles haïssent leur mère mais elles ne les tuent pas, elles ruminent leur haine, et elles aiment cela. »
Côté flics, le commandant Ludovic Marchant-Thierry et son groupe, Etienne, Caroline et Serge, suivent la piste la plus évidente selon eux, celle d’Amélie. Il leur faut un peu de chance, et de la pugnacité, pour découvrir d’autres suspects. D’interrogatoire en rencontre, le récit dévoile des personnalités et des trajectoires. L’autrice dresse des portraits sensibles, faisant la part belle aux fêlures.
Finalement, celle qui s’en sort le mieux c’est notre experte balistique, Alice Yékavian. En couple, elle aime son métier et fait figure d’électron libre. Pas directement impliquée dans l’enquête, elle s’intéresse à la fragilité d’Amélie, ce qui amène l’auteur à traiter de la psychiatrie, de la folie et de la norme. On pense à un autre auteur du Rouergue, Gilles Sebhan.
Si les descriptions psychologiques sont fines, la façon de parler de chaque personnage à coup de sentence finit par être répétitive. D’autant qu’il est improbable que tous aient la même finesse dans le regard. Puis surgissent deux affaires de violences policières. Quand un homme interpellé finit dans le coma après un plaquage au sol (« La police n’a plus le droit d’échouer »). Quand un policier crève l’oeil d’un truand au LBD (« le tireur a eu peur »). Si le propos est légèrement critique envers la rigidité de l’institution, les arguments sonnent surtout comme un message de soutien, par leur nombre et leur récurrence. Cela prend beaucoup de place, et est assez décalé dans le roman. Difficile de ne pas trouver plus d’opinion que de questions en lisant : » les arguments des libertaires dont le nombre ne fait qu’augmenter (…) » ou » (…) un business de la contestation de la compétence des policiers ». Difficile de ne pas sourire en lisant que les policiers ont des « ennuis » et subissent de la « maltraitance » parce qu’on va leur « poser des questions ». Bien des individus ont des métiers difficiles, sont mal formés, n’ont pas le droit à l’erreur, doivent être exemplaire au risque de subir la condamnation de leur hiérarchie, ou de la loi. Finissons juste en disant que si le polar est politique, sa lecture l’est aussi.
Reste qu’avec S’ils n’étaient pas si fous, Claire Raphaël continue de parler du crime et des femmes avec sensibilité. Son écriture évolue depuis Les militantes et en fait une autrice à suivre.
Caroline de Benedetti
Claire Raphaël, S’ils n’étaient pas si fous, Rouerge Noir, 2022, 22 euros, 288 p.