L’auteur américain, à qui le cinéma doit beaucoup (Shutter Island, Mystic River…), a parfois déçu avec ses précédents romans. Le silence de Dennis Lehane marque un changement d’éditeur, un retour attendu, et un retour gagnant.
Compter le nombre de polars dans lesquels un enfant disparait serait une tache ardue. Sans parler de ceux où l’un des parents part à la recherche de l’enfant. On le sait, beaucoup d’histoires ont déjà été racontées. Dès lors, pour faire la différence il faut avoir du style. Dennis Lehane n’en manque pas. Commençons en évoquant son sens des dialogues ; les formules font mouche et sonnent juste. Tour à tour drôles ou percutantes. Ensuite, il y a l’ambiance : la ville de Boston, le quartier pauvre de Southie et cette année 1974. Pour finir, les personnages, indispensable chair de l’histoire.
« Les jeunes de la cité détestaient rester à l’intérieur de la même façon que les riches détestaient aller travailler. »
South Boston, dit Southie, est un quartier irlandais. La communauté revendique une grande solidarité : on prend soin des siens, on prend soin du quartier. Quelques règles non écrites font loi : on ne balance pas aux gens extérieurs au quartier, par exemple. Pour Mary Pat, tout est bouleversé lorsque sa fille de 18 ans, Jules, disparaît un soir de sortie avec ses copains. Jusqu’où la communauté va la soutenir ? Quelle est la responsabilité de celles et ceux qu’on pense proches de soi ? Mary Pat s’inscrit dans la lignée des portraits de femmes inoubliables. Récemment, James Sallis en a livré un dans Sarah Jane. Mary Pat est une femme qui riposte. Bobby, le flic chargé de l’enquête, dit que « quelque chose d’irrémédiablement détruit et de profondément indestructible vit au plus profond de cette femme ».
La disparition de Jules a lieu dans un contexte particulier. En 1974 un loi s’attaque à la ségrégation dans les écoles publiques. Le projet « busing » prévoit de déplacer des enfants noirs dans des écoles des quartiers blancs, et vice versa. Décision prise par « ces connards de riches dans leurs châteaux de banlieue chic. » Car bien sûr, la ségrégation aura toujours cours dans les quartiers riches, enclaves protégées. Aux manifestations hostiles au « busing » s’ajoute la mort d’un jeune noir « tombé » sur les rails du métro. Le roman met en lumière les préjugés, les hypocrisies et les différences de classe.
Le silence de Dennis Lehane fait passer le lecteur par toute une gamme d’émotions. Une simple mère en lutte peut posséder plus de valeurs morales que tous ceux qui affichent bien haut la cause qu’ils prétendent défendre.
Caroline de Benedetti
Dennis Lehane, Le silence, Gallmeister, 2023, traduit de l’américain par François Happe, 25,40 €, 448 p.