La lecture publique a remplacé le sport dans d’immenses stades. Des milliers de personnes, dont beaucoup savent à peine lire, se précipitent pour écouter les lecteurs de livre Frisson, livre Chagrin ou livre Fou-rire. Ces grands moments d’émotion collective dérapent parfois, mais les Agents sont là pour faire régner l’ordre. 1075 est l’un d’eux. Il a quitté la campagne et sa famille analphabète de fermiers pour maintenir l’ordre du Grand. Les Agents ne lisent pas, mais quand 1075 se retrouve à l’hôpital suite à une morsure de chien… Vous avez compris. Le rire du grand blessé de Cécile Coulon est une dystopie, et la machine va se gripper. Dans ce monde où l’imagination est calibrée afin de provoquer des émotions 1075, qui n’a de cesse de façonner son corps pour combattre la peur, va sentir qu’il n’est pas libre…
On pensera à 1984 (Orwell), Fahrenheit 451 (Bradbury), Nous autres (Zamiatine)… l’histoire se termine d’ailleurs avec un beau clin d’œil à Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes. Le rire du grand blessé nous parle sur un ton qui hésite entre la fable et le roman. La leçon de vie est là – ou plutôt la leçon de société – avec des réflexions sur l’imagination et la littérature, le divertissement et la culture. Nous sommes dans la fable avec une écriture concise. Mais il reste des points à discuter, des paraboles… sports et évasion, entrisme et révolution, et là l’écriture se fait plus démonstrative, plus sensible, nous sommes alors dans le roman. Dans la littérature, celle qui nous pousse à réfléchir à ce que l’on vient de lire.
Emeric Cloche
Cécile Coulon, Le rire du grand blessé, Viviane Hamy, 2013 puis en poche chez Point et J’ai Lu.