La femme du deuxième étage de Jurica Pavičić marque le retour de l’auteur croate, après le succès de L’eau rouge. Il continue d’explorer la cellule familiale (et le mot cellule n’est pas anodin).
L’eau rouge commençait par une disparition. Ici, l’histoire avance vers le crime. L’auteur la structure en huit parties. Dès la deuxième, le lecteur sait que le personnage central, Bruna, se trouve en prison. Il s’agit alors de faire connaissance avec cette femme, avant l’enfermement. Peut-on déceler dans sa vie tranquille de comptable, le moment où tout va basculer ? Est-ce le jour où Suzana invite Bruna à une soirée, et qu’elle y rencontre Frane ?
Jurica Pavičić parle des plans que chacun fait pour sa vie. Il met à jour le poids du passif familial dans les comportements individuels et la mécanique du drame. Bruna n’a plus que sa mère Divra. Quant à Frane le marin, lui et sa sœur Mirela vivent dans l’admiration de leur mère Anka, seule après la mort du père dans un accident du travail. L’auteur fait de superbes portraits de ces femmes dont l’indépendance est une solitude forcée.
Ce roman permet de distinguer des motifs récurrents chez Jurica Pavičić. La ville portuaire de Split imprime sa marque. Pour connaître la Croatie, il faut comprendre le passage du socialisme au luxe et au tourisme de masse. Les yachts côtoient désormais les vieux immeubles décrépis. Ainsi, l’appartement de Bruna, la prison, la maison familiale d’Anka sont des lieux importants. La nourriture et la cuisine ont aussi toute leur place dans ce crime par empoisonnement. Ces touches d’ordinaire forment les portraits des personnages avec finesse et sans mélo. La femme du deuxième étage pourrait se résumer à un fait divers, mais l’auteur lui donne toute son humanité. Impossible de ne pas en sortir bouleversé.
« (L’église) nous raconte la seule vérité qui vaille : elle nous dit de quelle manière finissent les ambitions humaines. Comment les gens, les villages, les îles, les peuples échafaudent des plans et des projets immenses, comment ils commencent à construire des façades fabuleuses, et de tout cela il ne reste que des façades. (…) Les peuples, les empires, les générations : ils ont tous conçu des plans ici. Et les plans leur ont ri au nez. À eux comme à elle. »
Caroline de Benedetti
Jurica Pavičić, La femme du deuxième étage, Agullo, 2022, traduit du croate par Olivier Lannuzel, 239 p., 21,50 €