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Polar & territoire : Jurica Pavičić

Ce 11 juin à Nantes, il fait chaud comme un été en Croatie. Ça tombe bien, Jurica Pavičić est là pour le 4e épisode de la saison 2 menée par Fondu Au Noir et la librairie La Géothèque. L’auteur de L’eau rouge, La femme du deuxième étage et Mater dolorosa nous en dit plus sur son pays, interrogé par Benoît Albert, interprété par Morgane Saysana.

Polar & territoire : Jurica Pavičić à la librairie La Géothèque à Nantes
Benoît Albert, Morgane Saysana et Jurica Pavičić

« Split est un peu la Marseille de la Croatie. Je suis allé à Marseille, je me suis senti comme à la maison. » Mais qu’est-ce que Split, pour l’auteur croate ? « J’ai vécu dans 3 villes complètement différentes. Quand j’étais jeune, c’était une ville industrielle. Les années 90 et la guerre sont arrivées et l’industrie s’est effondrée. Puis l’héroïne est arrivée. En blaguant, un collègue journaliste a surnommé Split le South Bronx de la Croatie. »

Souvent évoqué dans ses romans, le tourisme, est arrivé dans les années 2000. « Les gens ont découvert massivement Split et sa beauté. La ville n’était pas encore vendue à la mode. Le tourisme est arrivé comme un sauveur. Beaucoup de gens en sont devenus dépendants ».

Quand on regarde au-delà du centre-ville historique, on trouve le passé du pays. « Il régnait un esprit d’utopie pendant le régime communiste. Dans les années 50 à 80, des immeubles ont été construits pour loger les ouvriers des entreprises. Aujourd’hui ces quartiers sont comme des monuments vivants à cette société passée. Ce sont des quartiers huppés, l’urbanisme y a été bien pensé, avec des parcs. Le centre-ville historique, devenu touristique, est un lieu de travail. Les gens vivent ailleurs. Il y a une dichotomie. »

Jurica Pavičić met en scène la zone industrielle et le port, des endroits toujours étroitement liés à la vie de ses personnages. Et ce n’est pas pour rien : « l’usine où a lieu le meurtre dans Mater dolorosa, c’est celle où à travaillé mon père. C’était une usine de fabrication de PVC. Elle a fait faillite et elle est tombée en ruines. Depuis 20 ans, elle est en démantèlement. »

Impossible de lire les romans de l’auteur sans percevoir la question des classes sociales, omniprésente chez l’auteur. Dans Mater dolorosa, le flic qui enquête, Zvone, vient de la classe ouvrière. Katia et ses enfants également. L’auteur rend ce sujet perceptible à travers certains détails. « L’espace, dans un pays touristique, est une source de revenus comme le pétrole dans les pays arabes. La buanderie qu’un voisin de l’immeuble s’approprie permet de parler de cet enjeu. »

Il faut dire un mot de ce titre, Mater dolorosa. « Katia, la mère de famille, souffre à cause de son fils. Elle s’identifie à la vierge Marie, même si son fils n’est pas si vertueux. Le roman pose la question de la loyauté à la légalité et loi, et la loyauté de la mère à sa famille, au sang, élargi à la nation. Ce conflit est plus important que l’idéologie dans la société croate. Il l’a divisée. » L’auteur illustre cette question par le « blood on blood » de la chanson de Springsteen Highway Patrolman, l’histoire d’un shérif qui doit arrêter son frère.

Split, c’est aussi le football. Pour cette rencontre, l’auteur est venu avec des photos prises par un de ses amis photographes. L’une d’elle montre un stade plein à craquer. « Je suis supporter du club, le Hajduk, mais aussi un membre actif. Nous allons contre le capitalisme du foot. On a empêché la privatisation du club. Pour le reste, nous n’avons pas de succès… »

Polar & territoire avec Jurica Pavičic
Benoît Albert, Morgane Saysana et Jurica Pavičić

Mater dolorosa est un roman sur la culpabilité et la morale. On y suit plusieurs personnages, mais un seul n’a pas le droit à la parole dans la narration, le fils Mario. « Ça a été un dilemme. Mais le psychologiser, c’est lui donner des excuses. Il est un mur, noir, un mystère. Il est comme la bonde au centre d’un évier. Tout coule autour de lui, mais lui reste vide. » Dès lors, la question est de savoir comme l’histoire va finir. « Une fin heureuse, c’est un choix idéologique. Et je ne pense pas que dans la vie de tous les jours les choses se finissent bien. John le Carré n’a jamais vraiment de happy end, il est dans la zone grise. »

À une question du public, sur le classement de Mater dolorosa dans la catégorie « polar », Jurica Pavičić précise sa vision du genre : « Mes livres sont des polars. C’est un genre vaste et multiple, pas seulement des flics et une enquête. Les polars sont aussi subtils, avec du mystère, du suspense, des éléments qui font que le lecteur a peur pour le personnage. Les bons romans policiers ont une profondeur psychologique. » Les romans de Jurica Pavičić ne manquent pas de profondeur. A vous de les découvrir, d’autant qu’un nouveau titre arrive en 2026, toujours aux éditions Agullo.