Les lectures

Obsolète de Sophie Loubière

couverture du livre "Obsolète" de Sophie Loubière. Un visage de femme avec des lunettes rouges et du rouge à lèvre ; dans ces verres se reflète de la fumée. L'image fais très pin-up des années 50.

« Il saisit le verre en soupirant. Un truc qu’il ne pigeait pas : il suffisait d’une imprimante 3D pour remettre une machine à laver d’aplomb ou remplacer les parties du squelette qui déconnaient, ses genoux par exemple, mais on arrivait pas à réparer les femmes. »

Yann Moix déclare sur un plateau télé en 2019 que les femmes de 50 ans ne l’intéressent pas, et que pour lui elles deviennent invisibles. La grande classe. Ajoutons à cela cette phrase tirée de 1984 de George Orwell mise en exergue du roman « Quand je l’ai vue dans la lumière, c’était une vieille, cinquante ans au bas mot. Mais ça ne m’a pas arrêté, j’y suis allé quand même » qui a peut-être donné l’idée à Sophie Loubière d’écrire un livre d’anticipation et de science-fiction en même temps qu’un roman noir, en prenant comme thématique principale la vie et le devenir mystérieux des femmes de 50 ans.

Sophie Loubière décrit une société en 2224. Elle le fait en imaginant le futur par rapport aux préoccupations (« réarmement démographique », écologie…) et avancées technologiques actuelles (Intelligence Artificielle…). Elle imagine la façon dont elles changent la société et vont se développer pour donner naissance à une société vertueuse. Utopie ?.. Cette société qui s’est remise du changement climatique, des catastrophes naturelles et crises qui en ont découlé a réussi à proscrire le gaspillage, les armes et la guerre. Des bracelets régulent les émotions et permettent de vivre ensemble dans la paix. Dystopie ?… Dans cette nouvelle société les femmes sont retirée sà l’âge de 50 ans et partent pour les « hautes plaines », un sorte de paradis dont personne ne revient. C’est le prix à payer pour que la société fonctionne. Un passage difficile pour les hommes qui voient partir leurs mères, leurs sœurs, leurs filles, leurs femmes… et dont le quota de tâches ménagères augmente soudainement. Les hommes susceptibles de procréer ont alors la possibilité de se voir attribuer une autre femme, plus jeune, et d’engendrer à nouveau une descendance.

La mise en place des éléments science-fictionnels est précise et détaillée et avance au fur et à mesure que les protagonistes féminins vont être « retirées ». Le roman policier d’enquête commencera à la moitié du livre. La finesse – le choix d’une coiffeuse et d’un archéologue comme principaux protagonistes est une excellente idée – et le style de Sophie Loubière sont au rendez-vous en science-fiction comme en roman policier (ou criminel devrait-on dire).

« Avec son lot de pathologies fonctionnelles enclenchées depuis une ménopause précoce, sans parler de l’hypertension intracrânienne dont les épisodes se faisaient plus douloureux et plus fréquents, Maud savait qu’elle avait atteint la phase d’obsolescence ».

La place de la femme dans la société est au cœur de l’ouvrage. Dans nos sociétés, le regard porté sur les femmes de 50 ans n’est pas le même que sur les hommes du même âge. Le livre aborde aussi le sujet des mythes, de la passion et des émotions. Car dans une société sans émotions fortes (peine, colère, douleur, amour…) l’être humain ne risque-t-il au final pas d’être réduit à son utilité ?

Emeric Cloche

Sophie Loubière, Obsolète, Belfond noir, 2024, 528 pp., 21€ puis en poche chez Pocket depuis le 30 Janvier 2025.