Interview / Jeu de rôle

Jeu de rôle et littérature #4

Jeu de rôle et littérature #4 avec Floriane Soulas Portrait par Olivier Dion
Florian Soulas par Olivier Dion

entretien mené par Caroline de Benedetti

Rencontre avec Floriane Soulas

C’était pendant les Utopiales. Dans son ciré jaune, l’autrice, ingénieure dans l’aéronautique et membre du comité artistique des Utopiales, accepte de répondre à quelques questions sur son rapport au jeu de rôle. Elle évoque la différence entre écrire une histoire, et jouer une histoire.

Comment ça a commencé pour toi, le jeu de rôle ?

Je suis venue au jeu de rôle par internet. J’adore les jeux vidéo, mais je n’avais pas le temps d’y jouer. Alors je regardais des let’s play tout en travaillant. À l’époque, il y a au moins dix ans je pense, les joueurs du Bazar du Grenier se filmaient en train de faire du jeu de rôle. J’avais des copains qui jouaient, mais je ne m’étais jamais sentie assez à l’aise pour rentrer dans cet univers. J’étais occupée avec mes bouquins mais je trouvais ça tentant. Je me suis dit que c’était comme jouer à WoW (World Of Warcraft), que tu pouvais créer ton personnage. Donc je regardais cette série, Aventures, et ça m’a donné envie.

J’en ai parlé avec des copains, et on a commencé sur Shadowrun. J’ai beaucoup joué, et j’ai masterisé Shadowrun. Puis j’ai cessé de faire meneuse de jeu, parce que ça me rappelait trop le travail d’écriture. J’étais frustrée : j’inventais une histoire, mais les joueurs faisaient n’importe quoi ! Je leur avais préparé une scène avec des backdoor. Ils ont fait un 20, et ils ont ouvert la porte d’entrée ! C’était fascinant à regarder, et en même temps j’étais super mal. Il fallait que j’improvise en live, en plus, et c’était crispant pour moi. On a joué pendant deux ans. Puis certains ont eu des enfants, d’autres ont déménagé. Le groupe s’est séparé.

Dans le même temps un ami auteur, Nabil Ouali, m’a dit : « viens, on monte un groupe ». Avec trois copines, on s’est mis à jouer. Il a inventé un jeu basé sur les règles de Donjons & Dragons, mais en fait c’était Skyrim (un jeu vidéo). Pendant 4 ans on a mené deux grandes campagnes de Skyrim. On a passé des journées à jouer, on mangeait, on jouait. Et il y a eu le Covid. On a fini la 2e campagne, mais le groupe, de nouveau, a éclaté. Et puis il y a quelques mois, avec deux des filles avec lesquelles je jouais, on s’est dit qu’on avait envie de rejouer. L’une d’elles s’est découvert une passion, elle est devenue MJ. Elle nous a proposé une nouvelle partie dans le lore de Donjons et Dragons. Depuis le début de l’année, on a recommencé une grande campagne.

Tu as répondu à la question du lien entre écriture et jeu : toi tu l’as évacué très vite, du fait que tu n’aimais pas ne pas maîtriser l’histoire.

Oui. Je n’étais pas très bonne pour improviser. Et quand tu improvises, il ne faut pas que ça se voit. J’étais tellement contente de mon histoire ! Je n’avais pas pensé que les joueurs allaient faire n’importe quoi. Pourtant c’est ce qui se passe tout le temps ! Et puis je trouvais que rédiger cette histoire me faisait trop penser à ce que je faisais en écriture. Alors que quand je joue, je sens une liberté totale. C’est du fun. Je peux faire ce que je veux. Il n’y a pas à penser aux conséquences dans l’univers.

Jouer c’est participer à une création ?

Oui. En plus on apprend à s’apprivoiser en tant que joueurs. J’ai une amie dont je connais les biais. Avec ce petit groupe, on est en train de créer la cosmogonie de nos personnages. C’est chouette de découvrir les secrets des autres, de voir comment on va faire grandir l’équipe, comment vont évoluer les personnages. J’ai l’impression de créer mon petit univers cocon, mais sans enjeu de publication ou de perfection. Il y a des sessions où je ne vais rien faire d’intéressant, d’autres où je vais faire des trucs incroyables. Et c’est pas grave ! Alors que quand tu écris ou que tu crées dans un objectif de publication, tu es tout le temps dans la réflexion.

Tu as des univers de jeu favoris ?

J’ai beaucoup aimé Shadowrun, ce mélange magie-technologie. J’aime jouer dans les univers de fantasy parce que je n’en écris pas. C’est hors de mon champ de travail. Mais si je suis mes inclinations de lectrice et d’autrice, je vais être attirée par des jeux post apo comme Vermine, ou du cyberpunk. J’aime beaucoup les jeux de rôle adaptés d’univers existants, comme nous quand on avait adapté Skyrim. Un de mes lecteurs a adapté Rouille avec ses potes, par exemple. J’aurais été curieuse de voir ce qu’ils ont fait. C’est trop bien d’avoir créé un univers que les gens aient envie d’explorer avec leur propre vision des personnages. C’est puissant. Quand tu écris, tu laisses des choses hors champ. Je fais beaucoup de fins ouvertes, je veux que les lecteurs choisissent, qu’ils s’impliquent dans l’histoire, que ça reflète des choses chez eux. C’est gratifiant de voir que l’univers les a suffisamment happés pour qu’ils aient envie de l’explorer sans toi. Tu partages avec les autres.

La partie de D&D qu’on joue existe dans les manuels. Je me suis dit que mon personnage l’aime tellement qu’il faudrait l’écrire. Ça serait l’histoire d’une gamine dans un cirque, et elle reviendrait après des années… Sans cette partie, je n’aurais jamais eu l’idée, parce que D&D ne correspond pas à mes univers. Jouer malaxe plein d’idées. En plus, ma MJ conte super bien. Elle fait des voix, elle arrive à créer une ambiance, elle est super inspirante.

Tu arrives à ne pas analyser le scénario ?

Ça dépend des MJ je pense. J’ai tendance à dire : « je pense qu’ils veulent qu’on fasse ça », mais après je me dis « il ne faut pas que je le dise ! », si elle n’a pas pensé à ça maintenant elle va y penser. Je donne des tips à mes MJ sur ce que j’aurais fait. J’ai ce truc, mais moins qu’en littérature où je ne peux plus lire normalement. Je vois les mécanismes, ou je les cherche. J’arrive à garder une certaine ingénuité. J’ai envie d’être surprise. J’ai envie de voir ce que les gens vont improviser, et à quel point le MJ est souple, ce que je ne suis pas du tout. J’aime beaucoup les MJ qui récompensent, qui se laissent porter par l’histoire et qui aident les joueurs. Ça donne l’impression que le MJ est comme un personnage, il les joue tous, ça fait une synergie.

Merci Floriane pour cette discussion. Bientôt, on vous parle de sa super novella Soma !