Anicette n’est plus la petite poupée de la famille. Bien que dernière née et gâtée jusque-là, elle a commis un acte dont l’infamie retombe sur les siens. Une famille pourtant respectable et respectée que les Bru. Et justement, ils ne peuvent accepter cela.
À quelques jours de Noël, tout s’écroule, Anicette est envoyée dans un foyer où l’on isole les déviantes, les filles qu’il ne faut pas voir, qui ne méritent pas d’être dans la société. Elle découvre alors un monde qu’elle ne connaissait pas, des pensionnaires venues des bas-fonds, celles dont on pourrait avoir honte.
Heureusement, il y a les souvenirs. La période bénie, quand elle était aimée et qu’elle découvrait le monde autour d’elle par le prisme de la vie familiale. Elle réinterroge ces souvenirs à la lumière de ce qu’elle vit.
Dans l’institution, le vice est chassé à coup de prières et d’une discipline sévère. Elle apprend à s’intégrer mais les luttes sont âpres et, lorsque les sœurs se sentent impuissantes, les solutions pour vaincre le mal peuvent s’avérer radicales.
Avec Fille perdue Adeline Yzac dresse un portrait particulièrement noir de la condition féminine au XIXe siècle. Les femmes doivent rester dans l’ombre, ne rien éprouver et surtout contrôler leurs envies et désirs. Ne pas le faire relève du péché et conduit à la punition. La morale trouve alors une complice, la médecine.
Même s’il est parfois démonstratif, soulignant peut-être un peu trop le trait, le roman est réussi et nous laisse bouche bée, le souffle manquant parfois lorsqu’on découvre ce à quoi la morale de l’époque peut mener. La place de la femme n’a rien d’une sinécure.
Le roman peut aussi nous rassurer sur le sens de l’Histoire et inviter nos nations dites civilisées à y regarder à deux fois avant de s’ériger en donneuses de leçon. Il est bon de nous le rappeler régulièrement.
Jérôme Jukal
Adeline Yzac, Fille perdue, La Manufacture de Livres, 2021