C’est Raymond Chandler qui le dit, Hammett « a sorti le crime de son vase vénitien et l’a flanqué dans le caniveau ». Mais Hammett comme Chandler n’ont à ma connaissance jamais donné la voix à un domestique, encore moins à une domestique. C’est chose faite sous la plume de Barbara Neely. L’autrice met en scène Blanche White, une domestique fuyant une condamnation à la prison pour des chèques impayés. Elle trouve refuge dans une grande maison auprès d’une riche famille de Blancs.
Grâce à son travail, Blanche a développé un sixième sens lui permettant de survivre en milieu hostile : la haute bourgeoisie blanche du sud des USA. Elle sent les maisons, elle connait les codes, les petites histoires et les manies. Le personnage de domestique, comme le détective privé, pénètre dans tous les lieux et observe les habitus des classes sociales. Ramené constamment à sa condition de serviteur (et de femme noire dans le cas de Blanche) ; c’est un personnage transparent. D’ailleurs la règle n°11 de S. S. Van Dine lui règle son compte en quelques mots : « l’auteur ne doit jamais choisir le criminel parmi le personnel tel que valet, laquais, croupier, cuisinier ou autres. Il y a à cela une objection de principe car c’est une solution trop facile. Le coupable doit être quelqu’un qui en vaille la peine ». Même si Agatha Christie souligne leur importance quant à la connaissance des gens qu’ils servent, les domestiques n’en restent pas moins des stéréotypes et des faire-valoir dans tout un pan des littératures policières.
Mais Blanche change la donne. Elle entre dans la vie privée de ses employeurs. Elle entend leurs conversations, débusque les non-dits et les mensonges. Les rapports de classe et le racisme des nantis sont mis en évidence. À la lecture de Blanche se fait la malle (réédité par les éditions Cambourakis) on se dit que le domestique ou la domestique pourrait faire un personnage récurrent intéressant… et c’est ce qu’a fait Barbara Neely ! Les aventures de Blanche White se déclinent sur quatre romans. Vivement la réédition des autres opus.
À ranger pas très loin de Chabrol en attendant la suite…
Emeric Cloche
Barbara Neely, Blanche se fait la malle, Cambourakis, traduit de l’anglais par Laure du Breuil, 2024, 256 p., 11 €