Son humour et son regard acéré sur les rapports humains en font une de nos autrices françaises préférée. Les doigts coupés d’Hannelore Cayre, « premier roman noir préhistorique » selon le bandeau, explore un registre différent de ses précédents livres.
La scène d’introduction déploie le ton habituel de l’autrice. Des ouvriers creusant une piscine au domicile d’une femme d’affaires mettent à jour une grotte remontant à 35 000 ans avant notre ère. A partir de là, le récit adopte deux écritures : la présentation de la découverte à la presse par une paléontologue, et la vie d’Oli au sein de sa tribu. Le premier récit revient sur la façon dont la préhistoire porte déjà les marques du patriarcat, le deuxième illustre la possibilité que les femmes n’aient pas été que de passives cueilleuses. Seule certitude : les hommes les ont maintenues dans un statut d’inférieure.
Oli et sa famille (Sapiens) voient arriver l’homme de Néandertal. L’altérité et le mélange étaient des faits avant de devenir des arguments politiques. De cette confrontation, et de l’impertinence de la jeune Oli, des changements vont naître. Doit-on accepter d’être mutilée quand on ne veut pas rester à sa place ? Comment naissent les bébés ? La femme n’est-elle qu’un utérus ? Et si c’était une femme qui avait inventé le propulseur ? Révolution ! Une fois posé ce constat féministe et antiraciste, la fiction déployée manque d’un quelque chose de palpitant.
Pourtant il y a du style. Hannelore Cayre balaie la question de l’anachronisme et fait parler les personnages avec le langage d’aujourd’hui. Ça fonctionne très bien. Mais les sensations surgissent rarement. Peut-être parce que les idées et le propos du livre prennent une place trop importante et ostensible. Par contraste, Oli et sa famille forment une galerie de personnages peu incarnés. Le roman est court, il faut dire. Difficile de se contenter d’une scène – émouvante – de discussion métaphysique entre la rebelle et sa sœur, les pieds dans l’eau de la rivière.
Jean M. Auel avait montré tout ce qu’il est possible de faire dans Les enfants de la terre. Certes, en plusieurs tomes. En littérature jeunesse, Benoît Séverac a raconté Néandertal dans L’homme-qui-dessine. Il faudrait aussi lire Sous le vent du monde de Pierre Pelot. Et puis dernièrement, le roman noir fantastique Des nuées met en scène très habilement la préhistoire. Le « premier » roman noir préhistorique est donc à mettre en perspective. On attendait beaucoup de ce nouveau roman d’Hannelore Cayre, et attendre beaucoup, c’est souvent être déçu.
Hannelore Cayre, Les doigts coupés, Métailié, 2024, 18 €, 192 p.