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Cirque mort de Gilles Sebhan

Cirque mort de Gilles Sebhan

« Pas de cris silencieux entre les branches, pas de monstres se glissant dans une porte entrouverte ».

Dapper est un flic dont le fils a été enlevé. Le sujet ne suscite pas forcément l’enthousiasme. Mais parfois, il suffit de peu pour céder à un livre. Dans Cirque Mort, à la première page une phrase agit comme une promesse de surprise, un clin d’oeil à ce que le livre ne sera pas, la garantie que des poncifs seront déjoués (et les codes, explosés, diraient certains).

« Et si, tout compte fait, sa préférence était allée à ce petit fou qui, à travers les royaumes de l’irréel, lui rappelait sa propre jeunesse ? »

Et puis l’histoire s’installe, l’institution policière affronte l’institution psychiatrique, l’enfance percute le monde adulte. Le mystère se trouve entre les murs de l’établissement, dans la personnalité du docteur Tristan, un Frankenstein dépassé par les conséquences de sa quête d’un homme meilleur. Car « être adulte, c’était déchoir. C’était perdre ses pouvoirs. »

Dans le fantasme de ces adultes, l’enfance incarne un absolu débarrassé de la médiocrité. Ces deux périodes de la vie s’affrontent, se côtoient, envisagent leur perméabilité, la possibilité d’aller de l’un à l’autre. Mais atteindre cet absolu donne son lot de souffrances, et force est de constater que certaines normes peuvent nous rebuter mais nous aident à construire une société. Alors il n’est peut-être pas tant question de s’égarer dans la projection d’un idéal que de « s’approcher de soi-même », au plus près possible. Cirque Mort remet en question les frontières et les normes, le roman est appuyé par une écriture qui louvoie, bondit d’un personnage à un autre, passe à la première personne le temps d’une phrase, créant un rythme tout particulier.

L’enfance intéresse de nombreux auteurs, Claire Favan parle de la violence (Dompteur d’anges), Hideo Yokoyama parle admirablement des enfants disparus (Six Quatre), Lee Martin base son histoire sur la disparition d’une fillette (Cet été-là), mais la disparition d’un enfant sert le plus souvent de moteur sensationnel aux polars. Gilles Sebhan apporte à cette thématique sa touche bien personnelle et donne envie de découvrir ses autres ouvrages. En racontant l’histoire de Dapper et la disparition de son fils, Gilles Sebhan livre un roman noir surprenant et dérangeant. Ce que le roman noir a trop souvent oublié d’être.

Caroline de Benedetti

Gilles Sebhan, Cirque Mort, Rouergue Noir, 2018, 17,50 €, 160 p.

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