Proies de Andrée A. Michaud est le premier roman que je lis de l’autrice québécoise. C’est une entrée en matière très poignante. L’histoire qui va bouleverser la vie de trois jeunes convoque tout un imaginaire, qui n’est pas la seule qualité du roman.
L’adolescence permet de raconter les premiers émois, l’insouciance, les sentiments à fond, l’initiation. Le lecteur est vite accroché. Mais l’écueil d’un sujet aussi rebattu, c’est que certains schémas sont attendus. Dans le polar, on se doute vite que le drame va arriver. Justement, Proies annonce la couleur dans le titre.
Lorsque Jude, Abe et Alex avaient pris la route avec sur leur visage ce sourire espérant l’infini, rien ne laissait présager que la folie dont ils s’apprêtaient à croiser le chemin ferait entrer les loups des contes, avec leurs dents acérées et leurs gueules baveuses, dans une région n’ayant entendu leurs hurlements qu’aux premiers jours de la colonisation, quand des hommes aux mains noueuses abattaient des arbres qui, dans leur multitude, semblaient repousser au fur et à mesure, les empêchant de voir les ombres qui rôdaient.
Cette phrase de neuf lignes en dit beaucoup sur le style de l’autrice. Très anglo-saxon, il pourra irriter si l’on prête attention à sa tournure, qui égrène un sujet après l’autre et produit cet effet. Quoiqu’il en soit, le lecteur sait que l’histoire à venir va mal se passer. Dès lors, l’autrice doit entretenir la tension et l’attention. Elle choisit de montrer le tueur dès le début, elle décrit certains faits, mais pas tous, puis elle déroule les causes et les conséquences. Et bien sûr, elle donne chair à de beaux personnages. En quelques pages, vous êtes agrippé au livre.
Jude, Abigail et Alex partent camper trois jours. Trois petites journées pour éprouver la liberté. Nous sommes avec eux au coin du feu, entre rigolade et confidences. Autour il y a la forêt, le sentier des ravages, et la rivière, la Brûlée.
Mais on n’était pas dans Deliverance. On était au foutu royaume du bois de chauffage, où ce qui pouvait vous arriver de pire consistait à vous vomir les tripes au cours d’une partie de chasse bien arrosée ou à tomber nez à nez avec une mouflette qui s’est levée du mauvais pied.
Pas loin, au village de Rivière Brûlée, les parents des trois jeunes attendent le retour des enfants, certains avec quiétude, d’autres avec angoisse. Les fêlures des adultes font écho aux blessures des jeunes. C’est le moment que choisit Andrée A. Michaud pour vous asséner une claque. Un coup à verser sa larme. Comme Jude, Abe et Alex, nous aimerions sortir de ce cauchemar. Mais jamais un cauchemar ne devrait empêcher les rêves. Je ne vous dirai rien de plus de ce roman enthousiasmant.
Caroline de Benedetti
Andrée A. Michaud, Proies, Rivages/Noir, 2023, 280 p., 21 €