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Toutes les nuances de la nuit de Chris Whitaker

Toutes les nuances de la nuit de Chris Whitaker

Le britannique Chris Whitaker avait frappé fort en 2022 avec Duchess. Trois ans plus tard, il foule de nouveau les rives de l’adolescence. Toutes les nuances de la nuit s’inscrit dans le sillage des histoires qui ont le pouvoir de nous ramener à cet âge dont on se souvient avec nostalgie.

Joseph « Patch » porte un cache œil et se vit dans la peau d’un pirate, façon comme une autre d’oublier qu’il est borgne. La jeune Saint habite avec sa grand-mère Norma et se passionne pour les abeilles. Leurs deux solitudes se rencontrent pour donner une amitié à la vie à la mort. Ils ont 13 ans quand Patch sauve la plus jolie fille de Monta Clare d’un prédateur, et disparaît.

Chris Whitaker annonce le drame dès la première page : « plus tard dans la matinée, alors qu’il agoniserait sur le sol de la forêt… » Il utilise régulièrement ce procédé, jouant avec les nerfs du lecteur, défaisant un certain suspense pour en créer un nouveau. Les 130 pages de la première partie se lisent comme si elles n’en faisaient que 5. La petite ville de Monta Clare se dessine par petites touches, avec ses habitants. Nix le policier au grand cœur s’empare de l’enquête. La profondeur de l’amitié entre Saint et Patch se fait plus précise, la rage de l’une et la poésie de l’autre.

« On se reconnaît, entre nous. Nous, les enfants à qui la vie n’a pas fait de cadeaux. On regarde ceux qui se plaignent pour des putains de problèmes insignifiants, et on se demande combien de temps ils tiendraient s’ils vivaient ne seraient-ce qu’une partie de notre enfance. »

L’intrigue criminelle est celle d’un thriller : un tueur en série s’en prend à des jeunes filles. Mais ce personnage n’est pas l’objet principal. Il est le caillou jeté dans l’eau, et l’auteur nous parle des ondes. Ces ondes sont les enfants, Misty et Saint, les amis et les parents. L’auteur déploie son histoire sur plusieurs années. La constante, c’est l’obstination et l’obsession qui animent les personnages. Patch, Saint, Nix. L’amitié et l’amour qui les lie traverse le temps. L’auteur donne toute leur puissance à la douleur, aux émotions, à la beauté.

Un roman de 800 pages s’expose au risque de longueurs ou de répétitions. Ici, l’auteur use de quelques facilités qu’un lecteur tatillon n’acceptera sans doute pas. Certains coups de pinceaux (puisque le roman parle d’art) appuyés se laissent voir, dans une toile d’ensemble malgré tout étincelante.

Caroline de Benedetti

Christ Whitaker, Toutes les nuances de la nuit, Sonatine, 2025, traduit par Cindy Colin-Kapen, 25,90 €, 819 p.