Notre habitat et notre rapport avec le voisinage, voilà un terreau d’histoires inépuisables. Elles en révèlent beaucoup sur les individus. Si l’immeuble a ses romans phares, le lotissement aussi, ce regroupement de pavillons, rêve accompli de l’accession à la propriété des années 70.
« On appelle les habitants de cette zone pavillonnaire sortie de terre trois ans auparavant « ceux du lotissement » parce qu’ils ne sont ni paysans ni citadins, on ne sait pas trop ce qu’ils sont d’ailleurs. » Cette phrase, tirée du Ciel en sa fureur de Adeline Fleury, aurait pu se trouver dans le deuxième roman de Claire Vesin, Le lotissement. Et en le lisant, on pense à d’autres échos : Arlington Park de Rachel Cusk, ou encore Théorie de la disparition de Séverine Chevalier, « J’ai vécu avec mes parents, toute mon enfance, un pavillon en location très petit sur cour en ciment dans un lotissement de pavillons… »
C’est par la vie des femmes, au foyer ou au travail, que l’autrice pénètre l’intimité du domicile. Le roman s’ouvre par un soir d’incendie chez Béatrice Mondessert, « la reine du lotissement ». Trente ans plus tard, la jeune voisine devenue médecin se remémore cette nuit et les membres de la famille Mondessert. L’usage de la double temporalité ne permet pas seulement de montrer deux époques (sont-elles vraiment si différentes ?). L’adolescente devenue adulte raconte aussi le regard que nous posons sur le passé, nos désirs oubliés ou accomplis, et le conformisme des adultes. Au son de La compagnie créole et des Renault 5, l’autrice fait revivre les années 80.
« -Quand même… Tu penses pas qu’on aurait fait mieux qu’elles ? Notre génération, je veux dire ? »
En même temps qu’elle déploie la géographie des lieux de vie – les pavillons, l’école, les HLM en construction, la nature autour – Claire Vesin montre l’entre-soi et le qu’en dira-t-on, le racisme en pleine époque « Touche pas à mon pote », et la volonté tenace qu’ont certains de rester en haut de la pyramide. Chaque personnage détient un bout de la vérité sur cette soirée dramatique, qui se révèle patiemment et logiquement sous nos yeux.
Caroline de Benedetti
Claire Vesin, Le lotissement, La Manufacture de livres, 2025, 19,90 €, 272 p.

